LA LETTRE DE MON JARDIN

Septembre 2022, point sue le millésime.

Alors que les vendanges de 2022 commencent à peu près partout, très tôt, après une année étonnante par sa sècheresse et sa canicule, on cherche dans le passé à quel millésime la comparer… sans trouver d’équivalent tant cette canicule et cette sècheresse ont atteint en 2022  des sommets sahariens inconnus jusqu’ici dans notre doux pays de France.
Sans doute faut-il remonter à 2003 pour oser une comparaison,  encore qu’avec le recul, cette année célèbre pour les excès de température paraît bien timide aujourd’hui!
On se souviendra que 2003 avec sa canicule fut célébrée dès les vendanges comme un millésime hâtif très exceptionnel par sa maturité du fruit, mais on n’oubliera pas qu’après quelques années de garde certains 2003 frôlaient le déséquilibre en raison de leurs imposants degrés d’alcool, associés à une acidité parfois trop limitée. Du genre vins du Midi, ou d’Espagne, plus que d’Aquitaine…..
2022 sera-t-il comparable à 2003 ? Il est un peu tôt pour le dire, on vendange les crémants, les blancs, les rosés commencent à peine, et les vignerons doivent se gratter la nuque en hésitant sur la date du début des rouges…Quand et comment cueillir le fruit formidable des Merlots, sans rien perdre de l’indispensable acidité naturelle, gage d’équilibre ? Faudra-t-il favoriser l’assemblage avec des cépages à maturité décalée comme le Petit Verdot ? Quand sera-t-il opportun de ramasser les cépages les plus tardifs comme le cabernet sauvignon, base des plus grands vins de  comme fin juin… bref pour faire en 2022 un nouveau grand millésime de chaleur, il faudra un vigneron de talent mais aussi chanceux, qui aura bénéficié plus qu’un autre des rares « petites pluies  du 15 août »… bien jalouses!
Et côté vallée du Rhône comment se prépare ce 2022 ? « La vigne résiste globalement mieux que ce que j’aurais cru, m’écrit l’excellent Jean-Louis COSTE-CLEMENT grand dégustateur expert en vins du Rhône, basé à Tournon en Ardèche- Certains secteurs ont souffert et ont des feuilles jaunes ou qui sont tombées, mais les vieilles vignes sur des sols travaillés sont encore bien vertes. Et comme je m’étais régalé avec certains 2003 je ne suis pas plus inquiet que ça, la vigne s’habitue (les vignerons aussi) et les vins ne devraient pas être aussi capiteux qu’en 2003, il y a presque 20 ans »
Petit retour en arrière de 19 ans en 2003 : souvenirs, souvenirs…. Pour mémoire voici intégralement ce que nous écrivions au sujet des vendanges 2003 dans la Lettre de mon Jardin n°3, le vendredi 29 Septembre 2003 pour raconter une visite dégustation inopinée au 1er Grand Cru Classé  Château Beauséjour Bécot  à Saint-Emilion.
Retro! La Lettre de mon jardin n°3 – Septembre 2003
« Justement, ce vendredi, il est 10 heures du matin, je suis dans le jardin qui éclabousse de senteurs et de couleurs ; sonnerie de téléphone, c’est Gérard Bécot :  » Il faut venir tout de suite, viens goûter ! Ce qui nous arrive, pour nos merlots, est incroyable ! »
Gerard Bécot n’a rien d’un illuminé. L’homme est solide, carré, pondéré, le regard clair et le teint hâlé par le soleil ; il est droit, gai, bon  » comme le bon pain » suivant la jolie expression de notre région, et se laisse rarement emporter par l’émotion. Depuis qu’il vendange ses 2003, je l’ai rencontré plusieurs fois, et s’il était optimiste, il restait prudent. Allons donc, toutes affaires cessantes, voir ce qui le transporte de la sorte… Une grosse demi-heure, et j’arrive chez lui à Beauséjour Bécot, à la fin de la gerbaude, dernier repas des vendanges ; il fait beau, l’équipe des vendangeurs est à table, et finit son repas, arrosée au 2001 : l’ambiance n’est pas à la tristesse ! Dès qu’il m’aperçoit Gerard Bécot m’attrape par le bras : « Tu as ton verre, viens avec moi aux cuves, la dernière semaine de soleil a tout débloqué. Ecoute, je n’ai pas connu 1947, j’étais trop petit, mais mon père, Michel, me dit que ce n’était pas mieux ! Je pensais bien faire bon, mais là, c’est formidable, je suis un vigneron HEUREUX !  » Les moûts fermentent, cela sent bon dans le chai. Il tire un verre de la première cuve, qui est « sèche » (elle a fini de fermenter) : si l’on craignait pour les couleurs, on avait tort ! Le jeune vin est grenat noir, le bouquet déjà explosif, le cassis mûr, la cerise noire dominent ; le plus surprenant, c’est la bouche, grasse, riche, avec une fraîcheur étonnante, un équilibre de grande année.  » Vers la fin, précise Gérard, on a vu remonter les acidités naturelles, sans perdre de degré, on va finir à plus de 13,5°, avec 3,8 ou 3.9 d’AT après malo-lactique…et cette saveur incroyable pour un moût à peine nouveau-né ! ».
La petite histoire retiendra que Beau Séjour Bécot 2003 obtint cette année là dans nos carnets de dégustation 2003  en Mars 2004  l’une des meilleures notes parmi 1es 1ers GCC, soit  17,50/20.

Jean-Christophe Estève