Lettre de Mon Jardin de Nov 2012

La Lettre de mon Jardin n° 90               17 novembre  2012
 Voici que vient de passer le 15 Novembre, jour de sortie officielle des vins nouveaux, date importante dans notre civilisation européenne, qui marque l’arrivée d’un nouveau cycle de la vie et du vin. Cette coutume fait partie des bases de notre culture, tant il est vrai que le vin est présent au quotidien dans nos vies depuis les temps les plus anciens !  Etrangement, cette date du vin nouveau semble désormais plus célébrée au Japon qu’en France…C’est  grâce au Beaujolais nouveau,  qui fait l’objet, au Pays du Soleil Levant d’un engouement incroyable – les Japonais étant, et de loin dans nos exportations, les plus grands consommateurs de Beaujolais nouveau du monde !  Il semble bien que ce ne soit plus le cas chez nous, puis-je trouver que c’est dommage ? On a tout dit sur le Beaujolais nouveau – et surtout du mal, d’ailleurs !
Pourtant, chez ses truculents vignerons il y a toujours eu du bon, voire du très bon, (bien sûr pas en grande surface), et ce Beaujolais nouveau, c’était une sacrée belle occasion de faire la fête, sans se ruiner. De ces occasions, il n’y en  a pas tant que ça! Et, de vous à moi, c’est nettement plus français qu’Halloween…

Ceux qui me connaissent bien savent que le Bordelais que je suis, « né natif de Bordeaux » (et même pire, de La Bastide) a toujours eu une affection particulière – que d’aucun trouvent coupable- pour le pays de Beaujolais et pour ses vins : le pays, parce qu’il est magnifique, et les vins parce qu’ils ont une canaillerie qui leur est bien personnelle. Sans parler des gens, ce que fait incomparablement l’écrivain Gabriel Chevallier, et je ne résiste pas au plaisir de le citer
en piochant dans son livre « Clochemerle » le délicieux passage que voici   « Il faut dire que les gens de cette contrée n’ont pas le vin mauvais, parce que le beaujolais c’est un sacré bon vin qui ne fait jamais mal. Plus on en boit, plus on trouve sa femme gentille, ses amis fidèles, l’avenir encourageant et l’humanité supportable. Tout le malheur vient d’une chose : il n’y a sur la planète qu’une seule région beaujolaise. C’est là que se trouvent les élus (qui sont, comme on le sait, en petit nombre), tous les gens de bonne trogne, de vaillante humeur et tous de cœur sur la main- celle qui ne tient pas le verre. »  [Gabriel Chevallier – Clochemerle]   
Nous vivons ici cette semaine un automne magnifique, alors qu’il est déjà vieux de deux mois sur trois…Il fait doux, le ciel est lumineux, la lumière dorée. Le jardin, qui avait pris ses vêtements d’hiver, en est tout surpris, il s’ébroue et étale les quelques fleurs qui ont survécu: quelques roses, des chrysanthèmes, des œillets d’Inde,  d’un jaune éclatant, alors que commencent à sortir de terre le nez camus vert tendre des jacinthes et des crocus de la prochaine saison.
 Nous sommes, dans le Sud-Ouest, attachés à des traditions bien vivantes, comme celle de la chasse à la palombe : peu de gens les chassent, encore moins en mangent, mais tout le monde en parle : notre journal régional, Sud-Ouest doit être le seul au monde à faire au quotidien le décompte des palombes traversant notre région, en nombre de vols par zones, et en nombre d’oiseaux bleus dans chaque vol. On peut ainsi apprendre que les cols Basques sont les plus favorisés, et de très loin… 

Si vous connaissez un chasseur du Sud Ouest,,  oubliez  toute sensiblerie, et laissez-vous  entraîner par sa cuisine: ainsi ai-je pu déjeuner cette semaine avec l’un de ces Nemrod ou Aristée gascon, qui sont prêts à tout abandonner pour un passage de palombes; c’était un repas de midi, donc un déjeuner de travail, léger, où me furent servis: Quelques toasts de pâté et de foie gras, pour se préparer, puis un somptueux salmis de palombes au Saint Emilion, à s’en lécher les doigts, ensuite un cuissot de daguet accompagné de cèpes et pommes de terre sautées à la graisse de canard, quelques fromages, et pour ne pas sortir de table avec la faim, un gâteau basque bien nourrissant. Le tout arrosé de St Emilion, dont un 2009 du Château la Gomerie et un 2004 de Beauséjour Bécot, splendide. Pour trois chasseurs  à table c’est presque du régime…  Le degré est-il un défaut ? Reprenant des notes de dégustation anciennes, je constate que les degrés élevés actuels, dont on nous bassine les oreilles, n’étaient à l’époque pas  si bas qu’on le croit  : ainsi avais-je relevé pour des châteaux notés comme merveilleux à ce moment-là: Pétrus               en 1982 : 14°5     en 1990: 14 °     en 2000: 13,5 °Cheval Blanc   en 1990 : 13,5 °   en 2000 : 13 °   en 2005 : 14 °Ausone             en 2000 : 13°       en 2002 : 13 °   en 2005 : 14 °
On peut voir, en comparaison, que les vins actuels ne sont pas si puissants qu’on veut bien dire… La différence avec les vins récents vient peut-être de ce que le progrès technique permet de ramasser plus mûr qu’autrefois, même en année médiocre, et que l’on contrôle mieux les volumes : moins de raisin donne forcément plus de sucre dans les baies. Mais surtout il me semble qu’on attache beaucoup d’importance, (et, à mon avis, trop) au seul degré :  un degré de 14° était une qualité il y a 20 ans, c’est maintenant presque un défaut. Sans doute la conséquence des pubs stupides, des lois Evin et des retraits abusifs de points de permis…Alors qu’on néglige désormais ce qui fait le charme de nos vins de France : l’équilibre entre le degré, l’acidité, le fruit.Ce qu’avaient, personne ne le contestera, Pétrus en 1982 et Ausone en 2000….Amicalement votre                                                                                                J Ch Estève« Les hommes sont comme les vins : avec le temps, les bons s’améliorent et les mauvais s’aigrissent. » 
        [Marcus Tullius Cicero – Cicéron]