La Lettre de Mon Jardin février 2022

La Gironde et plus généralement le Sud-Ouest ont connu cette année un hiver particulièrement froid, gris et humide, au point que nos camélias, d’habitude éclatants de fleurs à Noël, commencent à peine leur magnifique floraison d’un rouge intense. Le jardin est donc inhabituellement privé de couleurs et de vie, mais on se console en pensant, comme tout vigneron, que « ça aura éliminé la vermine ». Peut-être même que cela aura éradiqué les satanés moustiques -tigres qui nous ont envahi ces dernières années, et nous obligent parfoiss à nous occuper du jardin dans une tenue d’apiculteur !
Où l’on reparle des Bordeaux

J’ai, à de nombreuses reprises, remarqué et signalé dans la lettre de mon jardin que je ne comprends pas ce qui se passe autour des vins de Bordeaux, qui trainent une réputation complètement absurde de vins chers, et dont la vente ne progresse plus en volumes, alors que, pour 95% d’entre eux, (surtout avec les superbes millésimes en cours 2018/2019/2020), leur qualité  – et leurs prix en bouteilles sont souvent les meilleurs et toujours les plus attractifs du vignoble Français.

Un ami du Club Privilège habitant de Neuilly sur Seine près de Paris, grand amateur de vins et de gastronomie m’envoie ce message, que je trouve alarmant : « Dans la plupart des bistrots gastronomiques (Septime, Chateaubriand, Abri, Le Bon Saint Pourçain, pour n’en citer que quelques-uns) qui sont au sommet de leur catégorie, il n’y a aucun – AUCUN – vin de Bordeaux !!
J’ai déjeuné chez Abri (https://www.abrirestaurant.fr), qui a 1 étoile Michelin quand même, et je demande au jeune sommelier américain pourquoi aucun Bordeaux ? Réponse : c’est un choix ‘moral’ !! Même son de cloche chez le Bon Saint Pourçain, qui a pourtant une équipe 100% française (https://www.bonsaintpourcain.com).
Nous sommes donc obligés de boire du vin gazeux ou des choses qui ressemblent à du jus de cerise ou avec un fort goût de crottin de cheval… En général, on se rabat sur les alcools forts.
Tout ça relève désormais d’un fanatisme anti-Bordeaux qui n’a plus de sens…La chambre de commerce, les associations de producteurs, négociants de Bordeaux, doivent faire quelque chose et rééduquer le marché parisien ; présenter les vins ‘nature’, événements, etc…
Ces bistrots donnent « la » de la gastronomie innovante à Paris, sont connus dans le monde entier, attirent une clientèle internationale… Les vins de Bordeaux doivent revenir sur ce marché !» N. K.

Souvenirs,  souvenirs  de 2002
J’ai retrouvé dans la « lettre de mon jardin » de février 2002 ces quelques lignes qui me rappellent que le problème des Bordeaux ne date pas d’hier !  J’écrivais alors, en 2002,  au sujet d’une campagne nationale de publicité en cours à cette époque :
« Dans notre Landernau girondin, les occasions de sourire ne manquent pas. Par exemple, le slogan de la campagne de publicité pour les Bordeaux, politiquement très correct : « Buvons moins, buvons meilleur » dont les affiches sont faites par un photographe très connu, du nom, sans rire, de. … Perrier ! Certains esprits gascons, d’autres disent moqueurs, se demandent si le but de la pub ne devrait être pas d’inciter à boire PLUS de Bordeaux ! De même, ‘’buvons meilleur ‘’ veut-il dire que l’on buvait jusque -là moins bon ? A cette aune, le slogan deviendrait  » Buvons plus, buvons très bon, buvons Bordeaux ! »
Je rajoute à ce sujet ce commentaire : 
Je me trompe, ou il y a-t-il fort longtemps qu’aucune opération significative de promotion au plan national, exclusive pour les vins de Bordeaux n’a été organisée par nos instances professionnelles pour inciter le public à goûter ces vins ? Parce que, évidemment, exporter c’est bien, vive la Chine, soit!, mais abandonner le confortable marché Français du vin à la concurrence, est-il intelligent ?  Avez-vous remarqué comme nous, et souvent, que chez les cavistes détaillants partout en France – voire même dans l’agglomération bordelaise – le rayon « Bordeaux »  est repoussé au fond du magasin et propose bien peu de choix ? – alors que ce sont aussi ces professionnels qui font et défont les réputations ?

Et on me parle aussi du millésime 2020

Le millésime 2020 arrive peu à peu dans le commerce ; il fut difficile à vivre pour le vigneron. Voici ce que m’en dit le propriétaire d’un Grand Cru de Vougeot, et de divers vignobles en Côtes de Nuits et de Beaune, qui vient d’être certifié BIO en 2021 :
« 2020 a été un millésime difficile à bien des égards mais aussi agréablement surprenant. Chaud et sec pour sûr, pourtant frais, concentré et précis.
Ce millésime semble suivre la nouvelle norme : 2 saisons composées d’un long automne/hiver doux, et d’un long et chaud printemps/été. Nous avons eu un manque d’eau au début du printemps, qui s’est poursuivi jusqu’aux vendanges, mais heureusement, les nuits sont restées raisonnablement fraîches, ce qui pourrait expliquer la réaction positive des vignes aux températures sèches et caniculaires.
La plus grosse difficulté que nous avons rencontrée réside dans la floraison, qui n’a pas été particulièrement bonne. C’est ce qui explique, plus que tout autre facteur, les rendements généralement plus faibles que nous avons eus en 2020…
Nos rendements en 2020  ont été raisonnablement bons, à 30 hl/ha, ce qui est à peu près ce que nous avons réalisé en 2019, mais bien moins que les 35 à 38 hl/ha obtenus en 2018. Les alcools potentiels étaient vraiment très raisonnables, variant comme ils l’ont fait entre 12,7 et 13,5 %, nous n’avons donc rien chaptalisé. Quant aux vins, ils sont clairement structurés et bâtis pour vieillir, mais présentent un équilibre surprenant qui séduira les amateurs avertis et fin connaisseurs de vins à l’ADN bourguignon. Ils sont riches, flatteurs, et possèdent des tanins denses mais fins et souples qui permettront une approche précoce. Nous sommes extrêmement heureux du résultat… et nous prendrions volontiers ce millésime chaque année (surtout après avoir connu 2021) » (Ch de la Tour Clos Vougeot)

Il me reste à vous souhaiter un joli printemps, un printemps tout repeint au vin blanc, comme le chantait Brel !

Citation : [ Les français sont si fiers de leurs vins qu’ils vont jusqu’à donner à plusieurs de leurs villes le nom d’un grand cru ! ]   
(Oscar Wilde)